Vélo et Design : Pierre, peux-tu te présenter en quelques mots?
Pierre : je suis designer industriel, passionné par le vélo. Je roule principalement en VTT depuis une dizaine d’années. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai commencé ma carrière dans l’industrie du vélo, ces deux dernières années. Pour vivre pleinement une passion qui était devenue une obsession.
Tu as notamment travaillé pour Mondraker chez Cero, studio de design espagnol. Comment se passe la création d’un modèle ?
Pour créer un vélo, un designer industriel n’intervient que sur une « petite » partie du process de développement.
Comme tous projets de design de produit, le bike designer part d’un cahier des charges. En l’occurrence pour un vélo, le chef produit/ingénieur de la marque donne une géométrie (et cinématique pour les tous-suspendus).
Sur certains projets, il y a des aller-retours designer/ingénieurs et nombreuses itérations afin de trouver le meilleur compromis entre cinématique (courbe de suspension, définie par la position des points de pivots) et équilibre visuel. Cette synergie est essentielle pour concevoir des vélos performants et industrialisables.
Ensuite commence la phase de recherche de concepts formels, tout en respectant les codes visuels de la marque. Le but est de respecter voire enrichir son identité visuelle, c’est un des principaux challenge à ce stade. On travaille généralement uniquement sur des vues 2D au début.
Une fois qu’un concept formel est sélectionné par le client, commence la phase de développement, avec d’abord quelques vues en perspective et détails montrant notamment les sections des tubes.
On commence ensuite la modélisation 3D sur un logiciel surfacique, toujours sur la base de cette géométrie définie au début du projet. Le but est d’arriver à reproduire le plus rapidement possible l’intention initiale des key sketches.
A ce stade, il est important de valider les sections des tubes, et de vérifier qu’il n’y ait aucune collisions avec les composants et nouveaux standards (pédalier, pneus) notamment lors de la compression de la suspension. C’est pour cela qu’il est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît de concevoir un VTT ! Sur un cadre rigide, il y a beaucoup moins de contraintes !
Le designer réalise alors des rendus (images de synthèse) avec tous les composants du vélo pour valider et affiner le design du cadre. On applique également le marquage (logo de la marque, couleur) afin que le client puisse se projeter au mieux. Une fois la surface validée, on lance un prototypage rapide, qui permet d’avoir le cadre dans les mains et de rectifier des erreurs.
Ensuite le designer fourni les fichiers 3D à l’ingénieur, et là c’est un autre process qui commence : l’ingénieur remodélise sur un logiciel paramétrique type ProEngineer.
As-tu maquetté, utilisé l’impression 3D ?
Cela dépend des projets. C’est, je pense, une étape essentielle dans le process de développement. Malheureusement, des contraintes économiques et de timing nous obligent parfois à se passer de cette étape. De ma propre expérience, cela a permis quelque fois de rectifier des erreurs en terme de lignes et proportions. Les logiciels de rendus sont de plus en plus performants et produisent des images de plus en plus réalistes, mais on a jamais le même ressenti visuel lorsque l’on a quelque chose dans les mains.
Où s’est arrêtée ton intervention : avant la technique, en collaboration constante avec les ingénieurs ? (voir l’ITW de Roxy Lo)
Comme je le disais plus haut, le bike designer fournis des surfaces 3D à l’ingénieur lorsque le design est validé, afin qu’il puisse le modéliser en paramétrique, revérifier qu’il n’y ait aucune collisions, réaliser des simulations de résistance dans certain cas (FEA),… et décliner la 3D en différentes tailles de cadre. Le designer veille alors à ce que l’intention et l’énergie des sketches initiaux soient respectés, tout en s’adaptant aux contraintes.
Qu’en est-il d’UNNO, cette marque 100% from Barcelone ?
C’est un très long projet, qui s’est étalé sur plusieurs années, et qui est le fruit du studio Cero Design. De nombreuses personnes sont intervenues sur le projet et ont contribué à son développement. J’ai commencé à travailler en janvier 2014 lors de mon arrivée chez Cero, conjointement avec l’équipe de design engineers, pour construire une famille de vélos ayant un caractère et une identité commune en apportant une extrême attention aux détails. Participer à la création d’une marque c’est une expérience rare, et passionnante, qui demande beaucoup d’implication. Plus d’informations sont à venir dans les semaines qui suivent sur le site www.unno.com. Inscrivez-vous à la newsletter si vous souhaitez suivre cette nouvelle aventure !
Conçois-tu un vélo de la même façon que tout autre projet ?
Non, je pense que dessiner un vélo demande quelques connaissances et un brin de passion… Au même titre qu’un footwear designer (chaussures), ou watch designer (montre) par exemple. Il y a un procédé propre à cette typologie de produit. Avoir des connaissances et une expérience du milieu permet de créer des produits en adéquation avec le besoin des utilisateurs. Mais tout s’apprend, rien n’est acquis…
Aujourd’hui le vélo s’électrifie, se connecte : comment vois-tu son évolution dans le VTT et en général ?
Je pense que l’on est encore à l’aube du vélo électrique. Les choses bougent, doucement, car c’est un marché encore en pleine émergence, qui n’a pas la même maturité selon les pays… Mais on voit que les mœurs évoluent, avec la création de nombreuses catégories e-bike sur les événements en France par exemple.
Les fabricants travaillent de plus en plus sur les performances du couple batterie/moteur, ainsi que sur les options d’intégration.
La prochaine étape selon moi serais d’améliorer encore l’intégration du système, le rendre plus connecté avec l’utilisateur, et prendre du recul pour réfléchir au cycle d’usage du vélo en rendant sa production plus durable et respectueuse de l’environnement.
Sur quel(s) vélo(s) roules-tu ?
Je roule essentiellement sur un Canyon Spectral un peu « endurisé »… Mais j’aime bien varier les plaisirs, chaque vélo offre des sensations différentes. J’ai également un bike de XC, Scott Scale 899 (quand je vais faire un tour en montagne sur mon 26 pouces rigide, je me rend compte à quel point l’industrie du vélo évolue dans le bon sens), ainsi qu’un vieux Scott de route et un fixie Peugeot…et quelques autres projets en tête… Mais j’ai du mal à me séparer de mes anciens vélos.
Pour conclure : veux-tu dire quelque chose aux lecteurs de Vélo et Design ?
Go big or go home !
Il skie l’hiver, il roule l’été et entretemps conçoit différents projets industriels, dont des vélos… ça fait rêver !
Au travers de son témoignage, on comprend les difficultés liées à la conception d’un cadre de VTT (notamment suspendu) où le designer semble n’avoir qu’une toute petite place derrière la technique. Pourtant, design et ingénierie sont bien liés et travaillent de concert pour obtenir un vélo performant et correspondant aux gènes de la marque. Une approche différente de Roxanne Lo, qu’il s’agisse de VTT ou d’autres produits.