Avez-vous déjà eu la chance de croiser une telle monture ?
Un cadre atypique aux 21 triangles, une selle suspendue comme un hamac : voici les caractéristiques d’un vélo Pedersen, du nom de son concepteur danois. Des bicyclettes originales pour une histoire qui ne l’est pas moins…
Ingénieur créatif ayant déposé différents brevets pour l’industrie laitière, Mikael Pedersen était surtout un passionné de vélo. Après avoir déménagé à Dursley (Angleterre) en 1893, il se lance dans la création de son premier modèle… en commençant par la selle. Un système suspendu tressé, plus léger que les modèles en cuir à ressorts de l’époque, et censé être plus confortable avec un réglage de la tension. Il prévit même un modèle homme et un pour ces dames.
Mais il fallait concevoir un cadre qui puisse ensuite l’accepter ! Il s’inspira alors de ce pont et de son système « cantilever » (porte-à-faux), principe architectural répandu dans les constructions garantissant solidité tout en préservant la légèreté :
Basé sur un modèle en bois fabriqué quelques années auparavant, il dépose en 1894 un brevet pour ce cadre de vélo si particulier : un treillis composé de 14 tubes, une fourche formée de quatre tubes pour un vélo au poids inférieur à 9kg.
En 1896, il lance la Pedersen Cycle Frame Co. et la production des vélos débute sous licence avec six fabricants, mais le succès n’est pas au rendez-vous notamment du fait de son dessin trop avant-gardiste…
Les difficultés financières arrivant, le danois s’associe aux frères Lister pour créer la Dursley Pedersen Cycle Co. en 1899.
Avec des vélos engagés dans des courses, la marque attire l’attention et se fait cette fois bonne presse. Au meilleur des ventes, se sont 50 employés qui produisent plus de 30 vélos par semaine. Puisque la selle particulière ne permettait aucun réglage en hauteur, huit types de cadre furent créés pour répondre à toutes les morphologies ainsi que des versions tandem (jusqu’à quatre places), et même pliantes pour la guerre, à l’instar de la bicyclette Gérard.
Inventeur prolifique, Pedersen peaufine ses modèles avec des nouveautés comme le réglage en hauteur du guidon, et met au point un moyeu à trois vitesses intégrées en 1903. Mais outre sa grande créativité et ses compétences techniques, il était aussi une personne têtue : son moyeu n’était pas au point alors que les commandes avaient été enregistrées. Dans l’impossibilité de fournir des pièces correctes, l’entreprise fut vendue en 1905. La production des vélos par Dursley Pedersen pris fin en 1917 pendant que la production continuait à Londres jusqu’en 1922. Le fameux moyeu, cause de la fin de l’aventure, fut finalisé au moment de la sortie d’un autre modèle à vitesses internes bien plus fiable : le Sturmey-Archer.
Cet échec n’arrêta pas pour autant Mikael Pedersen dans le développement d’inventions allant de l’agriculture à l’armement, en passant par la conception d’instruments de musique ou le brassage de la bière. Retourné au Danemark, il s’éteint en 1929 dans l’anonymat le plus total… mais sa création lui survit. Ainsi, en 1978 Jesper Sølling redécouvre ses vélos au travers de plans, et relance la production. Voici quelques exemples de modèles récents :
20, 26, 28″, tandem, cargo, enfant, six tailles, de nombreuses couleurs disponibles, multiples configurations et accessoires, les vélos Pedersen se conjuguent à toutes les envies. Sølling en aura fabriqué 6000 entre 1978 et 2002, production désormais répartie majoritairement… en Grande Bretagne et ayant un succès grandissant au Japon. Et comme vous l’aurez constaté, son style a très peu évolué depuis ses débuts, devenant intemporel avec des pièces contemporaines.
Ingénieur atypique, bicyclette atypique, l’histoire de Pedersen ne l’est pas moins. Entre banqueroutes et renaissances, il semblerait que l’entêtement de son créateur soit matérialisé par chacun de ses modèles dont la production perdure…
Surnommés « Rolls des vélos » par des puristes, il faut bien l’avouer : les enfourcher donne une certaine classe.
Une idée de l’élégance cycliste qui n’aura pas eu le succès escompté au temps de Mikael Pedersen mais qui n’est pas démentie aujourd’hui, un siècle plus tard. Il est peut-être là, le vrai succès.